Nimue — Ombre d'étoile

Nimue, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre. Le premier protagoniste de notre histoire s’appelle Ilse Albrecht. Elle est allemande mais vit à Londres depuis une licence de lettre qu’elle n’a jamais pu finir faute de moyen. Pourtant, elle avait adoré ces années de faculté, elle qui a toujours aimé les légendes arthurienne. Le hasard des choses l’ont fait devenir couturière. Toute la journée, elle reprise, répare et fait les ourlets de ces gens en costume qui n’ont jamais le temps et qui se ressemble tous. Un jour, un sort pourtant du lot. Il faut dire qu’il n’est pas commun de voir débarquer un type dans un costume de tailleurs dont la manche est à moitié arrachée et qu’il faut absolument réparer en toute urgence parce qu’il est censé, elle cite, « conclure l’affaire du siècle dans cinq minutes ». Ilse hausse un sourcil mais s’exécute. Le type la paie et part en courant en lui promettant un diner si cela réussit. Elle ne le croit pas. Il tient parole. Ils discutent devant la farandole de légumes d’un restaurant huppé de la capitale britannique. Il est originaire de New York. Il s’est marié, par convenance, pour faire plaisir à ses parents qui trouvait inquiétant de le savoir toujours célibataire à trente ans et puis parce que qui dit mariage, dit alliance financière et politique. Il n’est pas heureux alors il se noie dans le travail. Et puis le voilà devant Ilse. Elle n’est pas forcément très jolie, Ilse, elle ne répond pas aux canons de beauté qui ont courts. Mais elle est lumineuse, drôle, agréable. Avec elle, le temps passe sans aucune langueur. Il fait tout ce qu’il peut pour résister à cette tentation qui s’offre à lui d’autant qu’elle ne semble pas indifférente non plus. On se cherche. On se titille. On s’aime. De cette liaison nait une petite fille. Elle est aimée, choyée. Son père fait tout ce qu’il peut pour s’échapper de ses obligations et passer du temps avec elles.  Elle s’appelle Nimue, cette petite, parce que Nimue, c’est l’un des noms de la fée Viviane.  Et puis, ça sonne bien. Elle prend le nom de sa mère pour plus de sécurité.

Mais un jour, tout se brise. Le fil de la vie d’Ilse se brise. Un accident. Lui se retrouve ivre de douleur, persuadé qu’on lui a pris celle qu’il aime. Il s’isole, divorce sans sommation, multiplie les allégations paranoïaques, tenant tour à tour pour responsable de la situation sa famille à lui ou celle de sa maintenant ex-femme. Il porte longuement le deuil, refuse la situation. Nimue ne dit rien, qu’est-ce qu’on peut dire  de toute façon à cinq ans, quand on a plus sa mère et que le seul être qui nous reste défaille à son tour. D’autant que lui ne sait pas s’occuper d’enfant et que personne ne semble daigner vouloir l’aider. Nimue ne dit rien, elle se contente de sourire et de lui demander si ça va. Nimue qui ressemble tellement à sa mère, de plus en plus chaque jour. Cela lui devient insupportable, si bien que la fillette se retrouve à ses six ans dans une pension très chic pour jeune fille. Peut-être que s’il l’éloigne un peu, il pourra faire son deuil. De cette pension, Nimue ne rentre qu’une fois par an, aux grandes vacances, qu’elle passe auprès de nounou et de colonie de vacances. Pour se faire pardonner, il la couvre de cadeaux, tous plus luxueux les uns que les autres. A ce jour, nombre d’entre eux n’ont toujours pas quitté leur crépons et bolduc.

A quatorze ans, Nimue exprime le besoin de revenir vivre avec lui, être au lycée en demi-pension, pour être avec ses amies qui elles aussi retrouvent le chemin de la maison. Il faut dire qu’à quinze ans, on a plus besoin de baby sitter et on se gère bien souvent seul. Elle retourne donc dans cet immense appartement sombre, avec cet homme qui semble tout faire pour l’éviter, malgré tout ce qu’elle tente de mettre en place. L’argent sur un compte en banque à remplacer les paquets cadeaux et leur rubans mais la mécanique reste identique. Heureusement, la femme de ménage qui gère le lieu lui apporte un peu de douceur et de réconfort, tant qu’elle peut. Nimue cultive son courage, sa résilience, fait tout ce qu’elle peut pour ne pas le déranger, si bien qu’à 18 ans, au lieu de rejoindre une des prestigieuses universités de la Grosse Pomme, elle préfère celle plus petite de Salem. Elle se débrouille seule pour trouver l’appartement, qu’elle achète comptant (moins de papier à signer pour lui), trouve la société qui l’aide à déménager dans une ville proche de Salem qu’elle a choisi pour les paysages et plus de calme. Elle a choisi l’endroit par hasard, en tombant sur une brochure. Ça aurait pu être ici, ça aurait pu être ailleurs.

De l’argent qu’il lui envoie toujours chaque mois, elle ne touche que le strict minimum. Elle sait la chance qu’elle a de pouvoir étudier sans avoir à faire de prêt. Elle tient quand même à travailler, cela amène un maillage social, des connaissances, de la normalité. Ici, au moins, elle sait qu’elle n’est plus l’ombre fantomatique d’Ilse Albrecht.