Amidst smoke and ashes. |PV. Andrea|

Elles dégringolent des arches, leurs pétales pourpres attirant irrémédiablement les regards des invités curieux. ‘Elles sont magnifiques.’ ‘On prendra ce fleuriste pour notre mariage, chéri?’ ‘Il faut qu’on plante ça devant chez nous’ Tu te délectes de l’attention, les compliments gonflant doucement ton torse, tandis que tu les observes entre deux allées, un verre à la main. Bien sûr ces gens ont un standing encore différent du tiens, ils se tiennent si droits, le menton si haut que tu peux presque voir le montant de leur compte en banque imprimé au fond de leurs rétines matérialistes. Tu les jalouses, quelque part, d’appartenir à un grade de la société que tu ne peux encore qu’effleurer, d’être des gens qui ne viendraient te parler que pour parler boutons de roses et arrangements floraux, bouquets et bracelets ornés. Tu n’étais qu’un maillon de la chaîne alimentaire pour eux, et pas même un des mieux placés, pas à l’abris. Un rémora, tout juste bon à t’accrocher à leurs fortunes, dévorant les restes que ces requins méticuleux et froids te permettaient d’attraper misérablement. Et quand tu te rends compte que ta fierté commence tout doucement à périr sous le ressentiment de ta vraie nature, tu perçois presque l’ombre du diable et un grognement cogne rudement contre tes dents serrées.  

Une pause. C’était le moment idéal pour prendre une pause. La cigarette se cale entre tes lippes bien avant d’arriver à l’endroit décerné même si tu attends pour l’allumer, tu ne voudrais pas qu’un de ces squales de la haute te voient sous un mauvais jour pour avoir pollué leur petite réception de coincés. Et quand tu dépasses le coin du bâtiment, tes yeux tombent sur une silhouette que tu avais apprise à connaître et reconnaître, le petit rire soulagé qui t’échappe devance même la moindre salutation pour indiquer ta présence. Eh bien voilà de quoi alléger ton amère ressenti devant les différences sociales. Tu retires la clope de ta bouche et remonte les lunettes tout en haut de l’arrête de ton nez. “Andrea. Quelle formidable surprise.” Le miel qui dégouline de tes mots va même jusqu’à t’agacer alors tu ne veux même pas savoir à quel point lui-même peut sentir la moutarde monter. Mais c’était un petit plaisir que tu n’allais pas te refuser. “Hah... J’oublie à chaque fois que maintenant je fais ta taille.” Tes lèvres dévoilent une rangée de dents superbement alignées, quelque part entre le carnassier et le provocateur, faisant clairement allusion à leur passé commun.  

Tu allumes enfin ta propre cigarette pour en tirer une longue taffe et recracher la fumée sur le côté, t’enveloppant d’une volute empoisonnée. “Comment vas-tu depuis la dernière fois? T'as ajouté des victimes à ton tableau de chasse?” C’était commun, votre gue-guerre, tes allusions, lui qui t’avait autrefois démoli presque entièrement pour avoir eu l’audace de le trouver à ton goût, désespéré à l’idée que ses précieux amis sachent qu’un autre garçon s’était enhardi à déposer sa bouche contre la sienne. Tu n’avais jamais pu faire l’adulte à c sujet. Jamais pu comprendre qu’on repousse à ce point ses propres pulsions jusqu’à porter atteinte à l’intégrité d’autrui et si avant tu ne l’avais jamais ouverte de peur de ne pas revoir la lumière si tu poussais un peu trop loin, aujourd’hui vos carrures se valaient plus ou moins et tu rendrais les coups aussi bien que tu les encaisserais. Il ne te faisait plus peur et tu étais bien tenté de lui rendre la monnaie de sa pièce.  

Tu peux voir la morsure dans le fond de ses yeux sombres avant même qu’il ouvre la bouche, mais ça ne t’empêche pas de t’en délecter tout autant, laissant les mots remplis d’un venin non dissimulé venir gonfler ton égo. C’était étrange, de se nourrir comme cela de la haine, de la rancœur d’une autre personne à ton égard, mais tu ne pouvais simplement pas t’en empêcher. Le voir se mettre dans de tels états à cause de toi, c’était aussi ça ta vengeance, t’assurer que ce soir il ne dormirait pas aussi bien que les autres, tout comme il t’empêchait autre fois de dormir posément. Alors tu ne luttes pas lorsque tes lèvres dévoilent une rangée de dents parfaite dans un sourire carnassier, satisfait, absolument détestable. “Hah... Je savais bien que je t’avais manqué.” La menace te répond comme s’il n’avait attendu que ça depuis que tu étais arrivé et un rire franc dégringole de ta bouche comme une cascade d’eau fraîche. Qu’importe à quel point tu avais pu envier la réussite des autres quelques instants auparavant, il n’y avait désormais plus rien qui importait plus que de rendre fou celui qui t’avait tant humilié, exclus, blessé lorsque tu étais encore vulnérable.

“Tu m’excuseras, Andrea, je ne partage pas ce genre de fantaisie.” Un haussement de sourcil évocateur, il ne fait aucun doute que loin de t’incliner devant cette menace tu t’en amuses, allant même jusqu’à la tourner en proposition que tu déclines avec un sourire faussement avenant. Tu laisses ton regard le détailler, suivant les lignes de sa silhouette familière. Il avait un peu grandi, s’était légèrement épaissi, mais finalement, il n’avait pas tant changé, et lorsque tu relèves les yeux pour les plonger dans les siens, tu t’amuses de retrouver les mêmes doutes, la même colère, savant mélange un peu confus. “Et tu sais finalement, je pense que c’est pas plus mal que j’aie grandi... J’avais pas l’air de te plaire quand on était gosses, mais on ferait un joli couple maintenant, non?” Tu craches un nuage de nicotine comme pour souligner tes mots, faussement perdu dans tes pensées. A dire vrai, tu doutais d’avoir aujourd’hui un physique qui plairait à l’agent de sécurité, après tout, pour l’avoir tant bouleversé lorsque vous étiez plus jeune, il avait du te trouver à son goût alors maintenant que tu t’étais renforcé, que tu avais grandi, que tu étais complètement différent, il y avait de grandes chances qu’il ne te trouve plus aussi mignon, non?  

“Ou alors tu les préfères chétifs et sans défense. Hah c’est pas de chance pour moi j’aime plutôt avoir le dessus.” Une fausse moue derrière un nuage de nicotine, parce que bien entendu ça ne t’ennuie pas tant que ça finalement, vous le saviez très bien tous les deux. L’affection, le désir que tu avais pu ressentir pour lui s’étaient retrouvés broyés sous les coups qu’ils t’avaient lui-même portés lestement. Enfuis, recouverts par les insultes qu’il crachait sur ton chemin, les rires qu’il aboyait à tes dépends. Mais aujourd’hui, fièrement assumé, clairement populaire, devenu un jeune homme sur lequel on se retournait volontiers, tu n’avais plus à détourner le regard, à ployer, à essayer désespérément de ne plus exister en sa présence. C’était à ton tour de prendre toute la place.  

Comme il est plaisant de voir ce bâton de nicotine encore consumable se dérober à sa poigne, parce que c’est la preuve que tu ne le laisses pas de marbre, que ce soit la haine, le désir, la rancœur, la fureur, qu’importe le nom qu’il faut mettre sur le sentiment qui pousse ses doigts à lâcher la cigarette, il te remplit d’une joie immature qui se lit jusque dans le moindre trait de ton visage. Et qu’importe si ses gestes sont soudain bien plus abrasifs que ses mots, qu’importe s’il te blesse en te poussant contre le mur, qu’importe si le bras qui s’écrase contre ta gorge y laisse une marque plus tard, tu es désormais la seule chose à laquelle il peut penser. Et bien qu’un sifflement désagréable accompagne désormais tes pénibles respirations, que l’arrière de ton crâne résonne sourdement après le choc et que tes jambes s’arquent maladroitement pour échapper aux siennes, un sourire satisfait orne toujours ta bouche. C’est une provocation, une déclaration de guerre mais dissimulée habilement derrière des yeux d’un gris pétillant. La flamme qui incendie le fond de ses iris s’attèle à effacer tout ce qui existe autour de toi et c’est simplement exaltant, bien mieux encore que la sucette démesurée qu’on offre à un nouveau-né.

Il appuie encore un peu plus fort et ton sourire se tord brièvement, tu lèves une main vers lui pour attraper ses cheveux et tenter légèrement de le tirer vers l’arrière pour te créer un peu plus d’espace, respirer un peu mieux. “Si tu voulais la paix avec moi t’aurais dû être plus gentil avant.” Ta voix est rauque et ton habituel rythme charmeur s’est envolé, tu manques d’air et c’est de plus en plus douloureux. “Après tout, je voulais juste... Un baiser...” Tu fais mine de tendre tes lèvres vers lui, poussant soudain de ta main à l’arrière de sa tête pour le rapprocher... Mais tu es bien plus fourbe que ça, et en quelques instants, tu n’es déjà plus qu’à quelques centimètres de sa bouche et tu inclines soudain la tête vers l’avant aussi violemment que possible. A la douleur derrière ton crâne vient s’ajouter une autre à l’avant, ton front s’est cogné à sa tête avec une telle force que tu grognes, choqué par le coup, mais au moins, tu réalises que tu l’as éloigné de toi et grâce à la bouffée d’air frais qui envahit tes poumons, tu sais que tu as au moins gagné le droit de respirer de nouveau.

“Hahahaha! Eh bien tu es toujours aussi... Passionné, non?” Et cette espèce de bataille pour affirmer votre ascendant sur l’autre, elle n’aurait jamais pu avoir lieu avant, alors qu’il te dominait d’une voire deux têtes. Aujourd’hui, tu es presque aussi grand et large que lui et tu ne baisseras plus les yeux. “C’est vraiment dommage que tu préfères faire comme s’il n’y avait rien entre nous, je suis devenu un excellent amant, tu sais?” Un goût de fer roule sur ta langue et tu te rends compte que tu t’es mordu la langue dans ton élan. Hah... Il allait falloir que tu serres les dents pour les prochains coups que tu allais prendre.  

Elle glisse rapidement, valse pour épouser les courbes de son visage, vire sur les angles masculins puis trébuche au bord de sa mâchoire aiguisée pour venir mourir contre le tissu de neige. Eh merde... Tu avais beau souhaiter qu’il souffre autant qu’il avait pu te faire souffrir, et pourtant, le voir dans cet état, ça ne te plaît pas plus que ça, savoir qu’il va devoir retourner au milieu de cette foule affamée de ragots, de rumeurs, prêts à aiguiser leurs langues fourchues sur des plaies même invisibles... Tu réprimes ton humanité pourtant, il l’a bien mérité, puisqu’il n’a pas hésité lui-même à te donner en pâture aux lions, à te surexposer pour sauver sa propre peau, à bleuir ton âme de ses coups en traître, alors tu lui devais bien ça, non? Tu relèves les yeux lorsque tu les sens s’énerver, prêt à riposter, sur le qui-vive, et même si tu te targues de pouvoir tenir tête à certains malabars mal élevés lorsque tu sors, tu as sans doute oublié un détail dans cette rencontre. Il a été formé pour se battre. Toi, tu tailles des tiges, arrange des bouquets, arrose des plantes d’intérieur et invente des prédictions à deux balles. Alors quand le poing file droit vers toi, tu te contentes de fermer les yeux en levant instinctivement les mains pour protéger ce que tu peux de ta belle gueule.

Tu entends le choc, les os qui craquent sourdement lorsque le contact se fait, tu peux même sentir le sang déjà présent dans ta bouche affluer, mais quand tu ouvres les yeux ce n’est toujours pas ta peau qui saigne, mais la sienne, ses phalanges égratignées, ouvertes, déversant le liquide vital le long de la peau comme de petite perles écarlates venues te narguer un peu plus. Tes yeux suivent le long de son bras, remontent le haut de son costume désormais froissé pour tomber sur son regard dur, ses yeux orages, son rejet, son dégoût, sa haine. Tu serres les dents alors qu’il te tourne le dos pour retourner vers la réception, vers tous ces vautours qu’il est supposé protéger ce soir, tout en ayant lui-même désormais l’air d’un truand de première catégorie avec cette main ensanglantée et son arcade ouverte. Tu voudrais le retenir, le torturer un peu plus, lui en coller une en traître comme il se permet de te tourner le dos... Mais tu n’en fais rien, il pourrait perdre son boulot et tu ne le détestes pas assez pour vouloir ruiner sa vie.

Cependant alors que tu retrouves toi aussi les festivités, tu pourrais le suivre à la trace, des murmures encore indignés d’avoir vu un homme à l’air aussi peu fréquentable traverser leur mondaine compagnie. Tu retiens un souffle de mécontentement, te contentes de sourire faussement et d’ajuster la veste de ton propre costume. La suite est claire et plutôt efficace, quelques questions pour trouver un kit de premiers soins, l’invention d’une plaie due aux épines de tes superbes roses et te revoilà à marcher droit sur lui, la main serrée sur un nécessaire express pour soigner au moins son arcade et nettoyer sa main. “Maintenant tu la fermes et tu ravales cinq seconde ton égo déplacé.” Tu jettes un coup d’oeil à la ronde, à part son collègue à quelques mètres, il n’y avait pas grand monde pour vous voir ici, alors tu brandis ta poignée de lingettes désinfectantes et les quelques pansements que tu étais parvenus à subtiliser en douce. “Si t’as l’air toi-même d’un agresseur ils vont pas avoir envie de te prendre à nouveau... Mais si tu peux vraiment pas la garder dans ton froc si je te touche alors...” Tu parlais bas pour ne pas rameuter l’autre vigile, tu savais que pour soigner son arcade dans les meilleurs délais il aurait besoin de toi puisqu’il venait de gaspiller sa pause à tenter de te faire croire qu’il n’était pas gay.