Here for the money | Beast

“Crois mon ange. Si tu crois, alors tout ira pour le mieux."

C’était le mot d’ordre, à Crucible, croire. Comme s’il s’agissait d’une loi tacite, d’une obligation surnaturelle, d’un penchant naturel, croire faisait partie des bonnes mœurs de votre ville aux si épais mystères. Elle croyait d’ailleurs, la tendresse de ses bras autour de toi tandis qu’elle révélait leur fortune aux âmes qui s’aventuraient dans le dédale de roses. Diseuse de bonne aventure. Médium. Madame Irma. Voyante. On l’avait appelé de tant de façons, donné des surnoms si farfelus, mais pour toi, cette douce femme dont les boucles blondes caressaient tes joues quand elle te serrait contre son sein, il s’agissait juste de ‘maman’. Une présence immuable et inébranlable, dont la chaleur réchauffait même les plus sombres journées, celles où la pluie ne semblait pas vouloir s’interrompre, celles où le blizzard hurlait au dehors, elle évoluait sous le soleil, bien sûr.  

Sa main dans la tienne, guidant tes pas pour tes premières sorties à l’école, abandonnant la douceur d’un foyer aimant pour la froideur de l’inconnu et de ses regards curieux. Tu aurais voulu pouvoir sourire comme elle le faisait et aller jouer avec ces enfants, mais tu t’étais tant habitué au cocon de ses bras, que l’inconnu te semblait glacial, inhospitalier, prêt à mordre. Mais la décevoir, ne serait-ce pas le pire? Une inspiration qui gonfle tes poumons d’un air empoisonné et tu te jettes dans la bataille qu’est la vie sociale. Plein de bonnes intentions... Peut-être.  

Tout comme tu sais t’entourer à l’école, elle sait s’entourer à la boutique. Les clients se succèdent, ils défilent. Et elle est belle, tu sais qu’elle est belle, ses grands yeux verts qui respirent la vie et sa bouche en cœur qui invite aux baisers, tu ne peux nier les regards de convoitisent qui glissent sur elle. Mais il n’y a que toi pour surprendre le vacillement de cette petite flamme quand le rideau tombe et qu’elle range ses cartes, quand plus personne ne la regarde et que tu es le seul à vouloir caresser ses cheveux. Tu n’as jamais demandé; Pourquoi vous étiez seulement tous les deux? Ça ne t’a jamais dérangé, rien ne t’a jamais manqué. Mais tu le vois, bien caché au coin de son sourire solaire, qu’elle souffre plus qu’elle ne souhaiterait le laisser voir, et quand elle surprend ses yeux sur elle dans ces moments-là, alors elle s’empresse de raviver ce feu qui l’anime pour que tu ne doutes pas plus, que tu ne t’inquiètes pas de ses mensonges. Car si toi tu n’as jamais pu le comprendre, elle, elle le voit très bien, ce diable qui tire d’insidieuses ficèles dans ton dos.

Ce sont des promesses, des mensonges, des ‘je t’aimerai toujours’ qui veulent dire ‘à l’ivresse d’une nuit’ des ‘tu seras heureuse’ qui s’imprègnent de ‘je briserai ton cœur'. Mais tout cela l’épuise, tout cela l’éteint. Et tu n’es pas assez fort pour vous deux, tu ne peux pas la retenir, protéger sa flamme. Alors tu la perds. On l’interne un matin de juillet, alors qu’un brouillard surnaturel s’est emparé de Crucible. Ce sont tes voisins qui se sont plaints une fois encore de ses “hurlements de folle furieuse”. Ils ne comprennent pas... Elle est comme Icare, et le soleil l’a trahie.  

Ta nouvelle famille s’embête de boniments, de douceurs, de “mon ange” comme elle le faisait. Mais ces serpents ternissent de leurs langues bifides les mots qu’elle t’offrait sans rien attendre en retour. Tu voudrais les écraser, les priver de la parole, effacer de leurs visages bouffis d’orgueil ces sourires mièvres et faux. Mais tu prends sur toi. Tu attends. Tu vas la voir de temps en temps. Tu es encore jeune. Et elle se fane peu à peu. Tu veux profiter de ce qu’il te reste d’elle, égoïstement. Donc tu es un enfant sage, tu leurs rends ces sourires aiguisés, crache à ton tour tes formules de politesse et les laisse espérer que le pactole qui t’attend pourra leur profiter. Car bien sûr, elle a profité de son succès en tant que voyante, et bien entendu, elle a pris soin de te mettre à l’abris en se sentant sombrer.  

Quand enfin tu es un homme, tu retournes dans votre ancienne demeure. A l’arrière, le dédale de roses n’est plus qu’un pêle-mêle de ronces menaçantes abritant des cartes renversées sans considération. Quelques mois, tous les fonds laissés par ta mère et beaucoup d’huile de coude. Voilà ce qu’il te coute de rénover votre modeste bâtisse en magasin flambant neuf. Des fleurs jaillissent de la devanture, un lierre commence déjà à s’approprier la façade et l’odeur embaume l’intégralité de la rue. Bien sûr que tu vendrais des fleurs. Elles viennent de tout le pays, parfois même d’ailleurs. Mais bien sûr, rien de mieux que tes roses, tes magnifiques roses qui poussent dans ton jardin, à l’arrière, celles que tu cultives de tes propres mains, celles qui ont tant de succès. Les siennes. Ses roses à elle. “Beauty & The Beast”  

Le commerce est florissant, tous viennent se laisser séduire par ce sourire que tu as appris à plaquer sur ta bouche séductrice et s’enivrer des parfums floraux. Et il te semblerait presque que tes démons se sont envolés alors qu’elle t’observe presque calmement depuis le jardin à l’arrière, enrobée par les roses rouges. Elle sourit. Elle cligne des yeux. Mais ils ne se rouvrent pas. Une rose vient de mourir. Et aucune autre ne saura la remplacer. Lors de vos derniers adieux, tu entends bien des choses “Il fallait s’y attendre” “le soleil ne brûle pas éternellement” “c’était écrit dans ses cartes” “je l’avais vu dans les signes” Quelle mascarade. Ce jour-là, il te dévore, te possède et chaque personne venue lui dire adieu est remercié par une paire de bras solide poussant et claquant tout le monde vers la sortie, refusant d’entendre un mensonge de plus. Et il n’y a plus que toi. Plus que toi et elle. C’était il y a un an.

Dates importantes.
+19 Mars 1993. Il naît à Crucible, de père inconnu. Sa mère ne fait pas de test de paternité et il n'en fera jamais lui-même.
+1996. Il entre à l'école, premier contact avec les autres. La sociabilisation est difficile mais il se force pour faire plaisir à sa mère, premiers signes de l'arcane.
+Septembre 2008 Suite aux plaintes répétées de leurs voisins pour tapage nocturne, la mère de Beast est internée pour démence et Emmet est placé en famille d'accueil.
+Mars 2011 Beast touche son héritage et quitte sa famille d'accueil pour rénover leur ancienne maison laissée à l'abandon.
+ Janvier 2012 Il ouvre une boutique de fleurs nommée "Beauty & The Beast" en hommage à sa mère et rencontre un franc succès. Il enlève sa mère au centre de réhabilitation et la ramène chez eux.
+ 12 Février 2020 La mère d'Emmett finit par s'éteindre en silence.
+14 Février 2020 La fête peut bien battre son plein. L'alcool couler à flot, les gens rire à s'en tordre les os, lui fait ses derniers adieux à sa mère. Si des nobles pompeux perdent l'un d'entre eux, ils s'en fout. Si les gens misent plus sur les cartes que sur eux-mêmes ils s'en fout. Si la société même manque de s'écrouler, il s'en fout.
+Nowadays Plus carnassier et gourmand que jamais, le commerce s'enrichit et comme la divination est une mascarade, il en profite allègrement.