crackhead w/ sin

Dans ces heures sombres, le goût du sang erre. Entre les lèvres acerbes, le fer s’enlise. Les marques des coups voilent les traits hérités d'une mère à présent passée. Et le silence s'étale entre les pavés sales d'une ruelle délaissée. Les jours passent et se ressemblent. La même rengaine. La même haine. La même violence. Et l'infâme questionnement d'un pourquoi. Qui ne cesse de croître sans jamais trouver de fin. Les jours se ressemblent, Sin et comme toujours, tu te retrouves ici. Assis contre un mur. Une main lasse essuie vaguement la trace de sang au coin des lippes. Échappant un juron désabusé avant de se relever. Lentement. Divaguant entre les envies et la réalité. Cherchant à savoir où tu désires aller.
Les idées défilent.
Les visages aussi.
L'odeur des fleurs vient chatouiller ton imaginaire. À cette heure, il ne sera pas là pour t'observer. Il ne sera pas là pour te laisser entrer. Ce grand type étrange. Et l'idée qu'il ne puisse pas être là, dérange. Effaçant cette possibilité en une demi-seconde. Laissant son visage t'apparaître. Ce n'est pas si étrange que cela. De penser à lui. À cette relation qui tangue sur un fil. Elle te fait l'effet d'être un joyaux autant que le néant. N'arrivant pas à déterminer sa réelle profondeur. Tout ce que tu sais, Sin, c'est que tes pas t'y mène déjà. Débarquant devant cette porte bien avant de t'être décidé. Et sa voix te frôle. Entrouvrant cette demeure sur les plaies. Avec déjà l'offre d'un repas bien mérité.


L'odeur de l'herbe s'étend. Comme à son ordinaire. Et les ronronnements d'un chat, résonnent. Comme à chaque fois. Rien ne dénote de la dernière fois. Ni celle d'avant. Rivage est toujours là. Bien vivant. « Salut. » faiblement, il s'échappe. Alors que tu laisses glisser ton sac à dos sur le sol. Arpentant ces lieux d'une aise légère. C'est le sentiment qu'il te laisse, Rivage. D'être à l'aise. Pour une fois. Changeant de l'oppression des souvenirs constant. Ici, tu respires. Même si tout ceci n'est qu'une vague mascarade. Car l'on ne se défile jamais de la réalité. On ne fait que fuir quelques heures. « Je vais me servir si tu me l'offres. » sans jamais se faire prier. Ressentant l'infâme faim dévorante d'avoir user de trop d'énergie. Pour survivre. Pour porter une fierté. Se battre sans jamais l'avoir fait. Prendre les coups tout en ayant connu que cela. Rien ne change réellement. Si ce n'est les visages. Dont le siens. Que tu viens à fixer après t'être servie une assiette. « T'en veux pas toi ? Qu'est-ce que t'faisais ? Je te dérange pas au moins ? » comme un ami. Tu t'inquiète de ton impact sur lui.
Sur sa vie.
Sur son quotidien.
Sur son état.
Comme un ami, oui.
Toi qui ne connaissait pas cela.

Rivage voit. Certaines choses. Certains détails. Rivage existe dans une autre réalité. Il est décalé de la plupart de celle des autres. Ils vivent sans se soucier d'un lendemain qui arrivera. Quand le sien est incertain. Bancal. Il semble prêt à se dérober sous ses pieds. Et cette vie. Cet état qu'il a. Tu ne le prends pas en pitié, Sin. Tu ne le vois pas comme une bête frêle. Faible. Prête à être abattue. Tu le vois comme un pilier. Il te semble fort. Assez pour t'inspirer. C'est dérisoire pour beaucoup de gens. Il est là. Affalé avec un chat à fumer un joint. D'autant dirait que c'est un déchet de l'humanité. Encore un gosse faussement rebelle qui tente de se donner une personnalité. Mais tout cela, c'est vague à tes yeux. Tu n'as pas grandi dans ce monde. Tu as évolué derrière des barreaux. Enfermé dans une pièce qui ressemblait vaguement à une chambre. Ce qu'ils disent de lui, tu ne le comprendrais pas. Ce qu'ils pensent en le voyant, tu ne pourrais pas l’interpréter. Toi, tu ne vois que sa force. Tranquille. Malgré des doutes qui le ronge peut être. Des peurs qui l'animent. Tu le vois. Vivant. Droit. À tort peut être, tu ne sais pas.
Tu l'observes simplement.
D'un regard déviant.
Et il arrive à faire naître un sourire. Un rictus en coin. Amusé. Alors qu'il s'approche de toi. Désinfectant à la main. Pour venir soigner des plaies qui ne peuvent t'atteindre. Parce qu'il n'y a rien de plus que l'on puisse briser chez toi. Parce que tu as enfermé ce qui devait être préservé. Pour survivre. Alors tu ne crains rien, Sin. Rien de ces petites blessures qui sont futiles. Mais il tient à les guérir comme à chaque fois. Et tu le laisses faire. Parce que tu ne crains pas ses gestes. Ses intentions. Tu ne crains plus que la distance se réduise entre vous. « Je viens te voir que pour ça... Tu ne savais pas encore ?... » un soupçon de sarcasme amusé. « Je vais bien, je te rassure. C'est rien que des blessures banales. » un œil se plisse vaguement. Sous une douleur qui n'en est pas. Qui ne tarde guère alors qu'il jette déjà ce qui a été souillé de tes abus. « Bien, alors je peux rester avec toi un moment. » parce que tu as besoin de sa présence. De lui.


La salade se pousse jusqu'à toi. L'attrapant sans attendre. Piquant déjà une fourchette dans cette dernière. Ton regard le suit. Inlassablement. Comme si tu tentais vainement d'apprendre. À être humain. À être comme eux. À être comme lui. Fort. Et peut être que tu te fourvoie, mais ça ne te fait pas peur. De te tromper de voie. De suivre la mauvaise personne. Tant que tu crois en elle. En ce que tu vois. Alors tu viens t'asseoir près de lui. Lançant un regard sur ce qu'il semblait faire avant ta venue. C'est lui. En photo. C'est vrai, c'est son métier d'après ce que tu as compris. Un métier banni. De Satan comme ils diraient. Se dévoiler pour plaire, une abomination. Un vice de la luxure. Et si tu n'arrives toujours pas à juger cela de ton œil neuf, tu n'en penses rien. « C'est pour le boulot j'imagine, tu veux de l'aide ? Un avis par exemple ? » tu sembles impassible en le disant. Comme si cela ne pouvait pas te toucher. Et ça ne te touche pas particulièrement. Parce que tu n'en comprends aucun sens à vrai dire.
Fermer d'esprit qu'ils diraient.
Enfantin qu'ils penseraient.
« Je me posais une question d'ailleurs... ça ne te gêne pas qu'on te prenne autant en photo ? C'est un peu comme si tout le monde te fixaient tout le temps. » et c'est la parano qui parle. Pourrais-tu le supporter ? Tu te le demandes parfois. Mais tu le sais au fond de toi. Tu ne pourrais pas, Sin. Ce serait trop dur à encaisser. D'être vu de tous. D'être jugé en silence.