Fortune et faillite // Beast

Calme, c’était le moins qu’on puisse dire. Depuis le rush du matin, tu étais livré à toi-même entre les gerberas et les tulipes et tu n’avais rien trouvé de mieux que te mettre en quête de nouvelles prédictions terriblement inspirées à glisser au cœur de ton best seller. Mais le stylo oscillait, avant, arrière, jouant à la balançoire sur l’arrête de ton majeur, flirtant avec la chute à chaque instant. T’étais à court. Aucun mot doux, encourageant, pas même la moindre prévision météorologique au creux des méninges.  
Il suffit du bruit de la sonnette de l’entrée pour que le stylo vienne s’effondrer sur le comptoir tandis que tu redressais tes larges épaules, sourire charmeur entamant déjà ta bouche. Mais tu te relaxes vite, te reposant contre le dossier de la chaise.  

“Hah... Simon. Comment tu vas? Que me vaut le plaisir?”  

Et si ça pouvait paraître un peu railleur, c’était pourtant vrai, voir Simon dans ta boutique était toujours un plaisir. Il te rappelait des temps plus doux, plus agréables et était si facile à vivre que même toi tu n’avais pas besoin de te parer de tes charmes artificiels quand tu étais en sa présence. Le stylo et les quelques papiers griffonés sont bafoués, glissés de côté alors que tu t’appuies en travers du comptoir, penché vers lui.

“Et Achilles, parfait, comme ça Piggy va me détester quand je remonterai. C’est un complot? J’ai fait quelque chose de mal?”

Et si un sourire décontracté joue avec le coin de ta bouche tandis que tu reportes ton attention sur le jeune homme, tu es loin de te douter à quel point le sujet de la visite de ton ami s’approchait de ce qui t’amusait.  

D’un œil, tu continuer de surveiller le ventre à pattes qui renifle tout ce qui passe à sa courte portée, après tout tu ne voudrais pas voir tes zinnias fraichement arrivés grignotés simplement parce que tu avais eu un moment d’inattention mais le rire mal aisé de ton ami te force à relever le regard. “Simon...?” Attention de courte durée puisqu’il mentionne une des plantes avec un sourire qui semble relativement sincère.  

“4 dollars, elles sont... Hé!” Tu secoues légèrement la tête, te passant la main dans les cheveux pour les désordonner un peu plus encore. Encore un peu et il parvenait à te faire dévier toi aussi de ce pourquoi il était vraisemblablement venu, ah décidément, plus tu le voyais et plus tu comprenais ce que ta mère avait pu lui trouver.

“Tu venais pour quoi? Tu voulais dire un truc non? Si t’es honnête, je t’offre la succulente.” Tu fais un signe du menton vers la plante, appuyant ton menton dans ta main, ayant complètement oublié le petit compagnon à quatre pattes de ton ami, désormais bien plus intéressé de savoir ce qui pouvait le gêner au point de vouloir absolument détourner l’attention sur une énième plante verte... Comme si son appartement ne ressemblait pas déjà à ton arrière-boutique...   

Bien sûr tu le suis du regard, c’est pas pour lui mettre la pression mais juste parce que tu essaies de comprendre, d’analyser, de voir bien avant que les choses ne se déroulent afin de calmer les prémices de la colère qui grondaient déjà doucement à l’idée de se prendre la tête avec Simon. Les mots dégringolent de ses lèvres un peu avant les papiers qui s’échappent de ses doigts un par un. Hah... “Pff... Alors c’est ça? “ Ca t’ennuie d’avance.  

Bien sûr, tu mentais, tu abusais allègrement de tes charmes pour faire passer tes prédictions à deux balles pour des oracles fabuleux, mais tu ne forçais personne à les acheter. “Ecoute Simon, tu vas vraiment me gonfler pour ça? J’t’ai pas demandé de me les acheter, hein, la plupart du temps ce sont les touristes qui le font et ils vident mon stock sans faute alors bon... Te sens pas obligé.” Tes épaules se soulèvent sans grande conviction. Tu la sens pourtant, la frustration qui grouille un peu plus loin, celle qui voudrait que tu t’énerves un peu plus de le voir venir te faire la morale.

“J’comprends que t’sois pas content. Mais j’vais pas arrêter d’les faire. Chacun gagne son pain comme il peut et au cas où tu t’souviendrais pas, j’étais pas le “doué” de la famille pour tout ça.” C’était la première attaque distincte, faire allusion à ta défunte mère, rappeler le souvenir de ses yeux tendre lorsqu’elle regardait Simon pour lui lire les lignes de la main, tout ça pour finalement y substituer son propre regard, rendu dur et stérile par une société un peu trop gourmande, pas assez généreuse.