[&] August Solskin ~

C'est sur un fond musical de nuit et d’orage que lui apparaît cette fresque qui dépeint tout le règne animal dans sa splendeur aussi chimérique que destructrice. Au firmament, par exemple, toutes les nuées d'oiseaux du lac Stymphale déchirent de leurs cris stridents le tissu du ciel. Ils répandent à leur suite de sulfuriques stries qui viennent s’écraser sur le sol où la situation n’est décidément que pire : de démentiels crapauds métalliques y rugissent en quadrillant la ville à la recherche de chair sur laquelle vomir les lucioles carnivores qui vrombissent dans leurs gueules rondes, impatientes de semer la mort. Et que dire des petites abeilles de plomb qui lui bourdonnent aux oreilles depuis le matin ? Elles ne dorment jamais, les abeilles de plomb ? Heureusement, les hommes, eux, finiront bien par dormir, c’est le Soleil qui l’a dit avant d’aller se coucher, le laissant seul face à la nuit et à son destin. Mais véritable arc-en-ciel dans la poussière, il déverse toute sa couleur et sa puissance dans les rues en absolvant les âmes qu’il croise sur son chemin. Deux pas chassés pour esquiver les balles qui se précipitent sur lui, et puis la détente claque deux fois. Pan, pan. Du sang éclabousse les murs et les deux soldats s'assoupissent pour toujours, comme Il le lui avait prédit. Comme toujours, le Soleil sait tout, et ce qu'il ne sait pas, il le mange ou le brûle.
Du bout de ses doigts d'enfant, ceux qui ne tiennent pas le pistolet, il trace des lettres le long des bâtiments qu'il longe dans un curieux mélange de petits pas et d’entrechats. La révolution bouillonne dans son corps d’enfant et c'est elle qui guide ses mains couvertes de peinture improvisée pour avertir les éventuels survivants, les gens qui peuvent encore être sauvés, d'autres enfants peut-être, comme lui... Les lettres qu'il esquisse - il ne les comprend pas, elles lui sont apparues la nuit dernière dans un rêve éblouissant - indiquent le chemin à suivre, bien qu'il n'en ait pas conscience. Du haut de ses 6 ans, cette nuit-là, il sauvera trois familles d'une mort certaine. Il ne le saura jamais. Au petit matin il sera loin, loin de la ville, loin de la guerre.
Quelques jours plus tard, l'Astre du jour l'aura conduit au-delà de la frontière. Une semaine encore après, toujours guidé par Sa lumière, il sera à l'autre bout du monde. Trains, bateaux, avions, il ne sait plus ni combien il en a pris, ni comment il s'est débrouillé pour s'y faufiler à chaque fois. Ce qu'il sait, c'est l'endroit où sa destinée l'attend. Le nom de sa destination résonne dans sa tête comme un marteau dans la forge : Crucible.

On sait finalement très peu de choses sur August depuis son arrivée en ville, il y a maintenant 24 ans. Toiles après toiles, cédées, au départ, contre une bouchée de pain, le gamin en guenilles a fini par réunir le nécessaire pour s'assurer un toit et une famille en la personne d'un chien fidèle. On ne le croise pratiquement jamais seul, toujours entouré tantôt d'amis, tantôt de clients, si bien qu'il semble connaître l'entièreté des habitants de la ville qui l'apprécient en retour, de par sa joie de vivre, l'énergie qu'il dégage et son sourire sincère et rayonnant.

Il y a cependant une chose que l'on sait : quelque chose a fondu dans le crâne d'August le jour où, très jeune encore, il a interrogé le Soleil en le fixant pendant une journée entière. Mais ce qui fond ne peut que durcir à nouveau, n'est-ce pas ? Au fond d'ailleurs, ça ne fait que mélanger les pigments, réarranger les molécules, redistribuer les cartes. Ces liaisons nerveuses grillées font d’August ce qu’il est aujourd’hui : un Icare moderne aux ailes brûlées mais aux doigts d'artiste talentueux, guidés par des yeux qui voient l'invisible car à moitié dissous par Sa toute-puissance.
Certains racontent l'avoir déjà aperçu arpenter les rues de Crucible à la nuit tombée, Hélios à ses côtés et le visage bariolé de peintures de guerre. Mais ces "on-dit" ne sont jamais bien fondés et ne servent, finalement, qu'à alimenter cette image de joyeux excentrique qu'on a fini par lui attribuer avec tendresse et amusement.